Les joueurs russes semblent aussi secs qu’un froid sibérien. Insondables, impénétrables, inabordables. Le cliché a la vie dure, à Nantes lors de la phase de groupes de ce Mondial, quand on tente de les solliciter et que l’on se heurte à un mur. Le Russe est peu causant, c’est dans sa culture. Il s’exporte peu c’est vrai, et cela dénote quelque chose. L’US Ivry est, aujourd’hui, le seul club de Lidl Starligue à compter un ressortissant soviétique dans ses rangs (la Proligue en compte deux, Sergey Kudinov à Chartres, et Alexander Pyshkin à Tremblay-en-France).
« L’amitié franco-russe ne date pas d’hier. Elle remonte à plus de quarante ans quand l’USI décida de créer le Challenge Marrane. »
Mikhail Chipurin, pivot, est arrivé dans le Val-de-Marne, il y a un an et demi mais il était depuis longtemps sur les tablettes des dirigeants banlieusards. « Quand on a disputé la Ligue des Champions il y a une petite dizaine d’années, se souvient Pascal Léandri, le manager général, on l’avait vraiment découvert avec Tchkekov. Il était depuis longtemps sur nos radars. » L’amitié franco-russe ne date pas d’hier. Elle remonte à plus de quarante ans quand l’USI décida de créer le Challenge Marrane, un tournoi international auquel furent rapidement conviés les meilleurs clubs russes. « Cela a créé des liens, souligne Léandri, facilité le transfert puis l’intégration de plusieurs joueurs. » Vassili Koudinov, Lavrov, Sidorenko (au poste d’entraîneur) ou encore Vassiliev, tous acteurs majeurs de l’aventure et membres actifs de la réussite ivryenne.
Tous, quelque part, exemplaires malgré leurs différences. « Ce ne sont pas des gens qui s’échappent, décrit pascal Léandri. Ont-ils des états d’âme ? En tous cas, ils les cachent. Ils ont le sens du devoir. Ils savent ce qu’ils ont à faire. Contrairement à nous qui sommes latins dans le tempérament, ils ne se plaignent et ne revendiquent jamais. » Mais sont-ils à part ? Parviennent-ils à partager la vie de groupe. « Mikhail Chipurin parle anglais, s’essaie au Français et il vit tranquillement avec sa famille à Ivry. Il peut se montrer très expressif et on l’écoute dans le vestiaire. »
« Ils savent pourquoi ils sont là, ce que l’on attend d’eux, alors ils sont opérationnels très vite. »
Le cliché a vécu quand le temps s’est écoulé et que de nouvelles habitudes se sont installées. « Surtout, reconnait Léandri, on n’a pas besoin de leur expliquer les choses. Ils savent pourquoi ils sont là, ce que l’on attend d’eux, alors ils sont opérationnels très vite. » Pascal Léandri n’a que de bons souvenirs. Olivier Girault, ancien capitaine de l’équipe de France, cultive le même respect lorsqu’il revisite le passé et ses débuts à Livry-Gargan où Andrei Lavrov était le papa des jeunes. « Il m’a couvé, témoigne-t-il, enseigné le respect des règles du vivre ensemble. Le type était dur mais juste. Il avait un caractère fort. Il ne se cachait jamais quand il voulait montrer son mécontentement. Tout le monde comprenait vite… Je me souviens d’un épisode incroyable lors d’un retour en avion après une défaite en finale de la Coupe de France face à Nîmes il y a une bonne vingtaine d’années. Interpellant l’hôtesse, il lui avait demandé de servir à boire à tous les joueurs sauf à l’entraîneur. »
Les Russes ne sont pas si sauvages qu’on l’imagine. Caméléons plutôt quand ils sont capables d’épouser les standards européens. Andrei Lavrov, bourreau des Français dans sa cage lors d’un quart de finale de légende aux Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, vit toujours aujourd’hui à Strasbourg. Sénateur au parlement russe, il se rend du lundi au jeudi à Moscou avant de retrouver son foyer français.
«... Et il passe régulièrement au Phare afin d’y suivre les aventures de son ancien club. »
L’histoire d’Edouard Moskalenko, pivot à Chambéry de 2001 à 2007, est tout aussi éclairante sur la capacité d’intégration des joueurs russes. Lors de l’explosion du bloc de l’Est dans les années 1990, son père se vit offrir trois cents hectares de terres agricoles près de Krasnodar. Edouard a repris la ferme familiale. Il y passe huit mois de l’année avant de rejoindre la Savoie, femme et enfants qui y vivent toute l’année. Et il passe régulièrement au Phare afin d’y suivre les aventures de son ancien club. Mikhail Chipurin est en fin de contrat, à 36 ans, à Ivry et il n’est pas sûr qu’il reste en France. La source russe serait-elle tarie ? Pas sûr du tout quand on sait son école riche, quand on se rappelle qu’avec la France et la Suède, la Russie possède un palmarès exceptionnel (4 titres olympiques, trois sacres mondiaux, trois trophées européens). Oui, pas sûr du tout quand on aura mesuré combien ces hommes-là sont capables de s’adapter et de se montrer utiles.
Crédits photo : Arnaud Lombard, Stéphane Pillaud