Kerbarch est un lieudit posé entre Vannes et Lorient, aux portes d’Auray où se dressent quelques longères typiques du Morbihan. L’endroit est retiré et calme, vivifiant quand on y hume l’air de la campagne et des lointains embruns de l’océan. Il ressemble à Guéric Kervadec qui a trouvé là le cadre idéal pour son épanouissement avec Fanny, sa compagne et Léonie, sa petite dernière. « C’est un bon endroit, oui, pour grandir tous ensemble. » L’ancien pivot international (217 sélections) est, désormais, loin de la ferveur des parquets allemands sur lesquels il a bâti sa légende, à Magdebourg entre 1997 et 2002, loin de Créteil où il occupait le poste de directeur sportif jusque juin 2013. L’âme et les convictions déchirées, Guéric Kervadec aurait pu s’effondrer à l’amorce d’une spectaculaire dégringolade. « C’est vrai, alors, que j’ai coupé les ponts. » L’homme, si l’on ose dire, est revenu à ses origines. Il est allé jouer à Marolles-en-Brie en N3 se retournant vers la base, « là où j’ai toujours gardé les vrais amis, ceux du début. »
« ...Magdebourg s’est manifesté l’été dernier en lui proposant le poste de manager général. »
Il a su envisager et construire une nouvelle vie, préparer son départ en Bretagne, dans le Morbihan où il ne manquait jamais de se rendre une fois par mois depuis des années. « J’y ai tissé des liens d’amitié dans un environnement où l’étiquette ne compte pas, où l’on juge et apprécie les gens sur les valeurs humaines. » Il n’a pas hésité à accepter un poste de chargé de mission auprès de la communauté de communes Auray-Quiberon-Terre Atlantique, loin des lumières de la ville, pas tout en fait en adéquation avec sa notoriété et son standing mais tellement en rapport avec sa personnalité. « C’est ici que je suis bien, que j’ai trouvé mon équilibre. Les sportifs ont tendance à négliger leur vie de famille, pour moi c’est une priorité. » Aussi quand Magdebourg s’est manifesté l’été dernier en lui proposant le poste de manager général, la si tentante opportunité de revenir dans le milieu et d’y écrire son histoire lui a échappé. Naturellement. « Remettre en cause tout ce que je suis en train de construire, ce n’était pas possible. Imaginer seulement repartir, quitter les miens m’était insupportable. J’ai refusé. »
« J’ai réalisé mon rêve : moi, le pivot, je joue arrière. »
La rédemption, il la trouve au quotidien dans sa nouvelle mission. Un peu aussi à Auray où il dirige l’équipe de Nationale 3, deux fois par semaine à l’entraînement, une fois en match. Le samedi ou le dimanche matin quand avec ses potes, les anciens du club, il se permet une nouvelle tranche de jeu sur le parquet. « J’ai réalisé mon rêve : moi, le pivot, je joue arrière. Le pied. » Sur le handball il a gardé un œil en acceptant de faire partie de la commission d’organisation des compétitions à la Ligue Nationale. « Tous ces aspects de l’activité m’intéressent parce que je discute avec les gens de la base, ceux qu’on ne voit jamais mais qui font tant pour le handball. » De la faste période de ses amours pour le maillot bleu, il garde, chaud au cœur, un souvenir partagé avec Grégory Anquetil, si fantasque mais si attachant personnage, lors de demi-finale du Mondial 2001 à Paris face à l’Egypte. « Après les Jeux Olympiques de Sydney, je m’étais retiré parce que je n’avais pas apprécié certains comportements pendant la compétition. Ce n’était pas, en tous cas, la vision que j’avais de mon sport. Mais j’étais dans les tribunes avec l’équipe de Magdebourg ce jour-là et quand la France a gagné Greg Anquetil s’est précipité vers moi et m’a enlacé. C’est un moment fort dans ma vie. Ce geste, pour moi, il valait tous les titres parce que c’était, d’abord, une marque d’amour et d’affection. »
« Le facteur humain est tellement important pour moi. Ici, chez moi à Kerbarch il prend tout son sens. »
Son moteur, aujourd’hui. Sa seule quête dans un monde qui déménage. « Le facteur humain est tellement important pour moi. Ici, chez moi à Kerbarch il prend tout son sens. Je ne veux pas gâcher cette harmonie. Et puis, quand j’ai un petit coup de blues, je vais faire un tour jusqu’à l’océan. Je me pose et je refais le plein d’énergie. » Guéric Kervadec a fait un choix rare, préférant une vie d’humilité et de simplicité à l’honorifique reconnaissance dans un grand club de handball. Il a appris à lutter contre les vents contraires, à accepter, avec beaucoup de philosophie, son sort. Heureux, enfin, quand, après une vie tourmentée par un divorce, il renforce le lien paternel avec son fils Ewan, pensionnaire du centre de formation à Créteil et gaucher d’avenir à l’aube de ses 18 ans. « Oui, c’est bien, on discute, on échange. Cette semaine, il va jouer à Redon, j’y serai évidemment. » Pas sûr qu’on oublie aussi facilement le nom des Kervadec.
Laurent Moisset